Inflation : la digue va-t-elle céder ?
Par Matthieu Grouès, Associé-Gérant & Directeur des Gestions Institutionnelles, et Julien-Pierre Nouen, Directeur des études économiques et de la gestion diversifiée, Lazard Frères Gestion
La crise de la Covid-19 a engendré des interventions monétaires et budgétaires d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Face à des actions d’une telle ampleur, beaucoup s’interrogent sur la résurgence d’un éventuel risque inflationniste.
L’histoire a en effet montré que les phases de création monétaire massive ont souvent généré une inflation très forte. Celle-ci a été maîtrisée au cours des dernières décennies par de puissantes tendances désinflationnistes, mais le déluge de liquidités déversées par les pouvoirs publics ne risque-t-il pas de faire céder la digue ? C’est sans doute aux États-Unis que la question se pose avec le plus d’acuité compte tenu des mesures prises, avec notamment un nouveau plan de soutien de 1900 milliards de dollars, qui sera suivi d’un plan d’infrastructures en partie financé par de la dette.
Les différents scénarios d’inflation aux États-Unis
Sur l’année 2021, une accélération de l’inflation est d’ores et déjà acquise du fait des importants effets de base liés au ralentissement de l’activité en 2020. En revanche, pour l’après-2021, la trajectoire de l’inflation s’avère incertaine. La question a son importance car la politique monétaire de la Réserve Fédérale, aujourd’hui très accommodante, en dépendra. Si l’inflation, après une accélération initiale, revenait sur les faibles niveaux des dernières années, cela pourrait remettre en cause toute velléité de normalisation de la politique monétaire par la banque centrale. A contrario, une inflation hors de contrôle constituerait un scénario très négatif, obligeant la Fed à envisager des actions fortes pour en reprendre le contrôle. Entre ces deux scénarios extrêmes, deux autres trajectoires plus modérées sont envisageables : une inflation qui resterait légèrement au-dessus des 2,0%, scénario qui permettrait à la banque centrale de mener à bien son plan de normalisation très progressive, et un scénario d’accélération plus rapide, la contraignant à accélérer le mouvement. Si les deux scénarios extrêmes nous semblent peu probables, 2022 sera clé pour savoir lequel des deux autres l’emportera.
Quid de la situation en Europe ?
Dans la zone euro, les effets de base vont également tirer l’inflation à la hausse en 2021, sans doute avec un effet maximal vers septembre. Pour la suite, tout dépendra de la reprise économique. Permettra-t-elle de mettre l’économie suffisamment sous tension pour générer de l’inflation ? Pour l’instant, les mesures annoncées n’ont pas la même ampleur qu’aux États-Unis, mais cette moindre relance est compensée par la présence de stabilisateurs automatiques, à commencer par les mécanismes d’assurance chômage qui entraînent une augmentation automatique de la dépense publique en cas de dégradation de la conjoncture.
En complément de ces stabilisateurs, le plan de relance européen devrait être mis en œuvre au second semestre. Dans la zone euro aussi, le taux de chômage avait atteint un point bas historique avant la crise du Covid-19, et a nettement moins progressé qu’outre-Atlantique en 2020. La reprise permettra-t-elle d’atteindre des nouveaux points bas historiques ? Cela permettrait de redonner du pouvoir de négociation aux salariés et donc d’enclencher une éventuelle hausse des salaires. Mais cela ne sera pas avant courant 2022.
Tous les regards sont tournés vers 2022
La vraie question de l’inflation porte sur 2022. Le stimulus est d’une telle ampleur que l’apparition de pressions inflationnistes aux États-Unis est plus que probable. Les non-linéarités rendent toutefois difficile la prévision d’un niveau d’inflation.
En amont, il semble difficile de juger si l’inflation restera dans la zone de confort de la Fed, celle-ci restant à définir, ou si elle l’obligera à essayer de ralentir fortement le cycle. Un dérapage de type « années 70 » nous semble exclu. Les tendances désinflationnistes qui ont endigué celle-ci depuis des décennies sont pour l’instant toujours présentes.
Dans la zone euro, les pressions susceptibles d’accélérer l’inflation mettront plus de temps à apparaître.
La question de l’inflation reste donc entière aujourd’hui, mais a toutefois peu d’impact sur l’allocation d’actifs que nous privilégions actuellement. Nous restons favorables aux actifs risqués et privilégions une nette sous-sensibilité au risque de taux sur les marchés obligataires. En revanche, l’évolution de l’inflation sera importante pour définir l’allocation d’actifs de 2022. Les conséquences d’une inflation plus forte à partir de l’an prochain seraient sans doute négatives. Elle obligerait la Fed à remonter rapidement ses taux pour combler son retard, ce qui serait de nature à déplaire au marché et à peser plus lourdement sur l’économie.
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