Les investisseurs doivent-ils s'inquiéter des déficits et des dettes publiques ?
Par Matthieu Grouès, managing partner and head of institutional management, Lazard Frères Gestion
Suite à la crise du covid-19, les gouvernements se sont engagés dans des programmes de soutien d’une ampleur jamais vue jusque-là. Cette politique a pour conséquence une envolée des déficits et des dettes partout à travers le monde. Pour soutenir cette politique, les banques centrales ont mis en place des programmes d’achats de dettes publiques d’une ampleur elle aussi exceptionnelle.
Le tableau suivant permet de fixer les ordres de grandeur. Il présente les évolutions des déficits, dettes et programmes de quantitative easing aux États-Unis et dans la zone euro.

On constate que l’ampleur des déficits est historique et totalement inédite en temps de paix. La hausse de la dette entre 2019 et 2021 est comprise entre 15 et 40 points de PIB. La fourchette basse, qui correspond au Royaume-Uni, sera sans doute révisée à la hausse prochainement au vue des déclarations récentes de Boris Johnson sur un futur plan de relance massif. Dans la zone euro et au Royaume-Uni, les banques centrales ont déjà annoncé des programmes d’achat un peu supérieurs à 10% du PIB et il est probable que ces derniers soient augmentés si cela s’avère nécessaire. Au Japon et aux États-Unis, aucune limite n’a été fixée.
Les QE permettent d’accroître le volume de demande en obligations d’État Si le volume d’émissions est constant, le taux d’intérêt va donc baisser Si le volume d’émissions augmente, les nouvelles émissions auront moins de difficulté à trouver preneur. La hausse du taux va donc être limitée et les problèmes de financement à court terme des États seront limités, quel que soit le montant des émissions.
Les pays au coeur de la crise de la zone euro de 2011 2012 ont été parmi les plus touchés par le covid 19 en particulier l’Espagne et l’Italie. Cette dernière, avant même la crise actuelle, peinait à rétablir ses comptes publics et devait chaque année négocier avec la Commission Européenne pour éviter le déclenchement d’une procédure pour déficit excessif.

Le risque d’une nouvelle crise des pays périphériques est limité à court terme, car contrairement à 2011-2012 il n’y a pas de volonté de « punir » des pays mauvais gestionnaires de leurs finances publiques. Mais à plus long terme, sauf si une accélération de la croissance nominale permet de réduire le poids de la dette, ce sujet restera probablement à surveiller.
La crise du covid 19 constitue un choc majeur sur l’économie, mais aussi sur les déficits et les dettes publics Les quantitative easing mis en place par les banques centrales apportent une solution à court terme. Le cocktail déficits publics quantitative easing est puissant à court terme et ses limites sont assez éloignées mais il soulève cependant des questions, en particulier celle de l’impact possible sur l’inflation. Une accélération de celle-ci créerait un problème de crédibilité des banques centrales mais résoudrait en partie le problème de l’accroissement des dettes publiques. Cela ne serait pas pour autant une bonne nouvelle pour l’investisseur en obligations d’État qui verrait le pouvoir d’achat de ses investissements rogné par l’inflation. Ce risque nous paraît plus important que celui d’un durcissement brutal de la fiscalité Il a l’avantage d’être plus facilement gérable rien n’oblige un investisseur à investir en emprunt d’État à un taux proche de 0%.
Lire l’analyse complète de Matthieu Grouès dans « Docteur Folargent, ou Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la dette ».
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